Garde-manger
Deux mots, attachés. Chacun un peu substantifs, un peu fonctions.
Deux mots simples. J'avais dit, « oui mais avant quand il n'y
avait pas de frigo on mettait les aliments dans le garde-manger... »
Et tout-à-coup, c'est comme si le mot m'était sauté à l'esprit.
Le manger, garder son manger. Quelque chose de très primitif, primal
presque. Le manger. Où est ton manger ? N'oublies pas ton
manger ? Qu'est-ce que tu as pris pour ton manger ?...
Expressions lointaines. On désignait ainsi autrefois son
casse-croûte, sa gamelle, ce repas qu'on emportait aux champs, à
l'usine, comme à l'école on emmenait son goûter. Verbe devenu
substantif. Comment ? Pourquoi ? Tout simplement parce que
c'est tellement important. Garder son manger, fondamental même. Rien
ne peut commencer avant que l'on soit certain de pouvoir garder son
manger, voilà tout. Le garde-manger affirme toute la problématique
de l'évolution de l'homme primitif. Si je peux garder mon manger,
j'ai un peu de répit. Imaginer cette nourriture arrachée des flancs
de quelque gibier, cueillie au prix d'acrobaties dans des branches...
Imaginer qu'il en reste, qu'il faut en conserver. Manger à sa faim
et en garder pour après, pour les enfants. Ou encore, simplement
protéger ce précieux butin des chiens, des mouches, d'un voleur,
que sais-je. Garde-manger, très simple. Une boîte, une espèce de
placard avec une porte de grillage et un loquet. Un grillage qui
laisse passer l'air et un loquet. Par précaution. C'était comme ça
dans mon enfance. Le garde et dedans le manger. On ne peut faire plus
court et pourtant tout est dit. Garde-manger. On peut laisser le mot
derrière soi et partir tranquille vaquer à ses occupations, on
retrouvera tout. Et aussi, oui aussi il est parfois suspendu,
accroché en l'air, à l'abri des rampants, fourmis, que sais-je.
Donc il est bien isolé, un véritable concept en parfait état de
marche et pourtant si lointain, si basique, avant la langue
probablement.
Ecrit le 17 octobre 2013
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